Désolations

David Vann

Éditions Gallmeister

  • Conseillé par
    2 janvier 2012

    Trop noir pour moi!

    Je n'avais pas voulu lire Sukkwan Island que j'étais sûre de trouver trop dur pour moi. Parce qu'il n'y a pas d'enfants dans ce roman-ci, je pensais qu'il me serait moins moins pénible de le lire. A tort! Désolations nous fait entrer dans la vie de couples d'âges et d'univers différents. Gary et Irène sont un couple d'âge mur qui quittent leur vie tranquille pour s'installer sur Caribou Island et y contruire une cabane. C'est en fait le rêve de Gary que subit Irène, de peur de le voir la quitter. Leur fille Rhoda vit dans la maison de ses rêves avec Jim, dentiste. Est-ce pour cette maison qu'elle souhaite l'épouser? Lui, en tout cas, voit son avenir avec elle mais "ensoleillé" par des infidélités répétées. Deux autres couples sont au coeur de ce roman et aucun n'est épargné. On a l'impression que couple ne rime jamais avec amour mais avec frustration et rancoeur. L'Alaska semble peser sur ces couples et on a l'impression qu'il y est impossible d'y être heureux.

    Je ne suis pas fan de Nature Writing et je me suis copieusement ennuyée pendant la construction de la cabane. Mais ce n'est pas pour cela que je n'ai pas envie de relire David Vann. La noirceur qui entoure ses personnages, l'inquiétude croissante que ressent Rhoda pour sa mère m'ont été insupportable. C'est sans doute la preuve du talent de David Vann, j'ai eu du mal à m'endormir après avoir refermé ce roman. A vrai dire, certains passages, de plus en plus nombreux au fil des pages, m'ont été insupportables. Et le fait d'apprendre que l'acte final du roman est tiré de l'histoire personnelle de la belle-mère de David Vann et est donc réel ne m'a pas rassurée. David Vann dit que l'écriture l'a sauvé et en effet, quand on lit son histoire, on se dit qu'elle a sans doute eu un effet thérapeutique.


  • Conseillé par
    10 septembre 2011

    Et tout est désolé...

    L’Alaska est une terre des confins, là où les hommes s’échouent ou se relancent. Pour Gary, c’est la terre des échecs. Son mariage avec Irene est en péril, mais jamais le courage ne lui est suffisant pour partir. Son envie d’ailleurs s’incarne dans un rêve vieux de trente ans : une cabane, celle qui aurait dû construire depuis des années. « L’idée était de bâtir une cabane à l’ancienne. Sans assise en ciment, sans permis de construire. La cabane devenue simple reflet d’un homme, à l’image de son propre esprit. » (p. 73) C’est avec des rondins inégaux qu’il décide de bâtir son rêve sur Caribou Island, une île au milieu du Skilak. Il espère apaiser les regrets de toute une vie et surtout oublier l’échec de son couple. « Un réconfort élémentaire, eux deux, le besoin qu’ils avaient l’un de l’autre. Pourquoi n’était-ce pas suffisant ? » (p. 56) Irene ne croit pas à cette folie de bâtisseur. Motivée par une culpabilité mêlée de reproche, et bien que terrassée par d’incessantes et inexplicables migraines, elle choisit d’aider son époux dans son entreprise.


    Le couple monte un bivouac sur l’île et s’emploie à construire la cabane, se coupant peu à peu du reste du monde. « Presque un chariot de pionniers d’un nouveau genre, en route vers une nouvelle terre et la création d’un nouveau foyer. » (p. 17) Mais l’hiver est précoce et avec lui se précipitent les doutes froids et les haines pétrifiées. « Quand le lac commencerait à geler, il y aurait une longue période où aucun bateau ne pourrait effectuer la traversée, et la glace ne serait pas assez solide pour leur permettre de traverser à pied. Ils seraient isolés, sans aucun moyen de communication en cas de problème. » (p. 241) La cabane ne sera finalement qu’une tour de Babel : Gary échoue à renouer avec lui-même et tout n’est qu’inachèvement et incapacité. La fin de cette épopée nordique est dramatique, forcément, et éternellement figée dans des neiges mauvaises.
    Pendant ce temps Rhoda, la fille de Gary et Irene, court à perdre haleine après un idéal de vie de couple et de mariage. Mais son compagnon Jim, de dix ans son aîné, prend conscience que sa vie ne peut pas se limiter à une seule femme. Son accomplissement passera par la possession et l’expression d’une sexualité sans complexe. Et Rhoda s’engage dans une voie qui pourrait être sans issue, sinon fatale.
    L’intertextualité à l’œuvre dans ce texte est magique. Elle ressuscite les légendes et les épopées scandinaves tout en convoquant les accords parfaits de chansons inoubliables, qu’il s’agisse de «’Suzanne’ de Leonard Cohen ou des harmonies des Beatles.
    Les éditions Gallmeister publient des œuvres qui s’inscrivent dans le courant du Nature Writing. Désolations est une magnifique expression de ce courant littéraire. Ici l’Alaska se livre entre immensités glaciales et territoires hostiles. Chacun des personnages part en quête d’une terre meilleure. Mais l’Alaska n’est pas l’El Dorado. Alors se pose une lourde question : peut-on vivre de rêves en Alaska ? La fin de l’été marque le crépuscule de certaines choses et l’on ne sait si ce qui suivra sera une hibernation avant un beau réveil ou une mort sans retour.
    Je n’ai pas lu le premier roman de David Vann, Sukkwan Island, prix Médicis en 2010. Pour autant, impossible de passer à côté de tout ce qu’on en a dit. D’aucuns se demandent si le second roman sera à la hauteur du premier. Après lecture du magistral Désolations, je me demande plutôt de quel chef-d’œuvre je me suis privée en ne lisant pas Sukkwan Island. David Vann a un talent certain pour dépeindre les tourments des âmes livrées aux éléments. L’Alaska ne semble plus si hostile quand on a jeté un regard dans le cœur de Gary ou d’Irene. À se demander comment une telle terre n’a pas pu apaiser tant de haines et de rancœurs réciproques. Mais la réponse n’est pas là et il n’est pas certain qu’elle existe. Désolations n’est pas une œuvre à clés : c’est une vue d’hiver à travers une vitre froide. De l’autre côté s’accomplissent des choses grandioses et auxquelles rien ne s’oppose.
    J’ai lu ce roman presque d’une traite. La plume de David Vann est hypnotique et elle trace dans les consciences des voies insoupçonnées, qu’on ne peut qu’emprunter au risque de s’y perdre.