Une histoire à tenir debout

Régine Salvat

JC Lattès

  • 13 décembre 2012

    Cher Rémy,

    Depuis quelques semaines, j'observe le livre écrit par ta maman sur ma pile de livres à lire. Je ne sais pas les raisons pour lesquelles je n'ai pas réussi à l’ouvrir auparavant. Probablement parce que je savais qu’il me fallait attendre le bon moment, la quiétude nécessaire pour aller à ta rencontre.

    Rémy, toi qui as la force et la grandeur d’un petit dieu grec, passionné de lectures et d’aïkido, je me suis laissée emporter par le récit de ta maman. Tu es très jeune lorsqu’elle découvre que tu n’es pas le même enfant que les autres petits garçons de ton âge. Des symptômes étranges sur lesquels il est difficile de mettre un nom vont alarmer tes proches. La valse des visites médicales, des examens et des hospitalisations n’a pas terni ta sagesse. Curieux de tout, avide de lectures, tu t’adonnes à la philosophie du Zen.

    Tu vois, cher Rémy, comme beaucoup de lecteurs je pense, ce que je craignais en ouvrant le livre Une Histoire à tenir debout c’est d’assister impuissante à l’histoire d’un enfant qui a souffert inutilement. Il est des réalités qui dérangent. Pourtant, au fil des pages, j’ai découvert un enfant malmené par le corps médical, par son propre corps mais ta formidable force de vie te pousse à toujours aller plus loin. Tu apprends grâce aux livres, tu t’ouvres au monde, malgré tout. Avec beaucoup de lucidité et de vivacité, tu apprends le nom de ta maladie orpheline et tu connais l’issue. Tu sais que la Maladie sera plus forte. Tel un grand guerrier grec, tu vas mener un dernier combat, celui d’être libre de tes choix et de partir en tenue d’ aïkidoka, à 24 ans.

    En lisant ton histoire, je n’ai pas eu l’impression d’entrer dans le récit d’une histoire uniquement bouleversante. Je ressors de ce livre, grandie. La plume de ta maman te rend un formidable hommage, au-delà des questionnements suscités sur la fin de vie et le droit à l’euthanasie. Ce livre est un petit coffre-fort où les mots deviennent des perles d’amour, d’espoir et de force. L’écriture de ta maman, si pudique et poétique, nous invite à savourer la vie encore davantage. Je ne lirai plus jamais L’Arbre généreux de Shel Silverstein, cadeau de ta maîtresse bienveillante, sans penser à toi Rémy.

    Cette rencontre est inoubliable et je me réjouis de savoir que ton combat n’est pas vain. Grâce à ta maman et comme elle te l’avait promis, de nombreux lecteurs partent à ta rencontre. Ils comprennent grâce à toi que peu importe la durée de la vie, seule domine l'essence même de sa beauté. Avec toi on apprend à ressentir l’essentiel.

    Aujourd’hui, cher samouraï sans maître, je referme un livre tout corné, avec à l’esprit ta déclaration, du haut de tes huit ans : « Lire, c’est gagner sa liberté. Celle de vivre en homme libre. Lire, c’est vivre ! ».

    PS : Je souhaite vivement que ta requête ne tombe pas dans l’oubli… Lorsque j'observe un ciel étoilé, je t’imagine sur les chemins de pèlerinage des monts de Kumano, à l’heure où le noyer du bois Messier, agite ses feuilles au vent, tel un arbre généreux.