La déchéance de Mrs Robinson

Kate Summerscale

Christian Bourgois

  • Conseillé par
    24 mai 2013

    Un homme à tromper

    " Je suis une journaliste jouant à l'historienne et essayant, ensuite, de transformer ce que j'ai trouvé en roman. " Cette profession de foi illustre de manière très précise la démarche de Kate Summerscale. Après avoir évoqué la naissance du roman policier avec " L'affaire du Road hill house ", la voici établissant des parallèles entre Emma Bovary et cette pauvre Isabella Robinson qui paya ses fantasmes au prix fort. L'histoire se situe au milieu du 19e siècle. A l'époque, pas ou peu de salut pour une femme en dehors du mariage. Jeune veuve avec un enfant, Isabella épouse, faute de parti plus attrayant, Henry Robinson, un ingénieur triste, ennuyeux, radin, bref un homme à tromper. Ce qu'elle fera brièvement, mais l'adultère, c'est surtout en pensées qu'elle va le commettre, pensées dont elle remplit son journal intime. Alors qu'elle est malade, Henry lui pique son journal, l'ouvre, découvre à quel point sa femme le méprise et demande le divorce. A l'époque, on s'en doute, ce n'est pas une mince affaire, et le procès va être retentissant. A travers ce fait banal, Kate Summerscale explore la société victorienne, avec un accent tout particulier sur la déplorable condition féminine. Se transformant en détective de l'Histoire, elle signe un livre aussi bluffant que le précédent.

    Article paru dans ELLE

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  • Conseillé par
    24 mars 2013

    Des longueurs pour une enquête poussée

    Alors que Kate Summerscale plongeait son lecteur au cœur d’une passionnante enquête policière à scandale dans L’affaire de Road Hill House, elle choisit ici d’analyser les fondements de la société victorienne à travers une affaire d’adultère. Ce qui la rend particulière, comme le sous-titre « journal intime d’une dame à l’époque victorienne » l’indique, c’est qu’il n’y a ni flagrant délit ni preuve formelle : le mari s’appuie sur le journal intime de sa femme que ce goujat a lu, profitant d’une fièvre passagère de celle-ci.

    Ce livre n’est pas plus un roman que le précédent titre de Kate Summerscale paru en France. Deux parties ici, de ton et de forme tout à fait différents. La première partie reprend de longs passages du journal d’Isabella Robinson, et le journal intime d’une épouse victorienne c’est long, très long et rapidement ennuyeux. Très ennuyeux même.

    Rien n’est épargné au lecteur des sorties avec ou sans enfants, du temps qu’il fait, de l’heure du retour, du dîner, des lettres insignifiantes écrites en grand nombre. Heureusement, Isabella rêve à d’autres hommes, c’est ce qui donne de l’intérêt à ses écrits. C’est Edward Lane qui est l’objet de toutes ses attentions, qu’elle a connu étudiant et jeune marié et qui finira médecin-chef d’une clinique d’hydrothérapie. Elle s’intéresse aussi aux jeunes précepteurs de ses enfants, parce qu’elle est seule Isabella, isolée et que son mari est infect (et lui-même adultère d’ailleurs, de surcroit père de deux enfants illégitimes).

    Kate Summerscale ne nous cache rien de la parenté, des études et du devenir de tous les protagonistes, même lointains, décrit avec minutie les divers habitations évoquées, les rues, les heurs et malheurs des frères, sœurs et amis. Par son journal, on sait également tout des espérances d’Isabella, des progrès qu’elle fait auprès d’Edward, jusqu’à ce qui semble être la consommation finale de l’adultère.

    Quoique.

    La seconde partie traite du procès intenté par Henry Robinson contre sa femme auprès du tout nouveau tribunal des Divorces (créé en 1858). Mais il ne veut pas simplement divorcer, il vaut aussi la perte du docteur Lane. Si l’adultère est prouvé, celui-ci perdra tout en perdant sa réputation, sa clinique comme ses clients dont certains éminents comme Charles Darwin. Dès lors, la défense d’Edward s’appuie sur l’absence de preuves concrètes et travaille à « réduire à néant la crédibilité du journal en tant que recueil de faits réels ». Autrement dit, ce qu’Isabella décrit ne serait que les fruits de son imagination nymphomane et dépravée. Pour sauver la réputation du docteur, Isabella accepte toutes les allégations des médecins qui se penchent sur son cas : elle est cette femme monstrueuse dominée par ses désirs, insatisfaite, lascive qui se laisse aller à la plus vile immoralité dans ses écrits intimes.

    La déchéance de Mrs Robinson est un texte instructif concernant la justice et surtout la place des femmes, de l’épouse victorienne dans la société. Sur ce qu’elle pouvait faire et ne pas faire, mais aussi sur ce qu’elle pouvait imaginer ou pas. Pour préserver les intérêts de celui qu’elle aimait Isabella a accepté de passer pour une maniaque sexuelle. Au final, on ne sait pas si adultère il y a eu, mais on constate sans peine que le mari l’amant, ou plutôt celui qui s’est laissé aimer sans trop protester, ne sortent ni l’un ni l’autre la tête haute de cette histoire dont la seule victime est la femme, bien sûr.

    Kate Summerscale fait d’intéressants parallèles entre la situation d’Isabella et celle de bien des héroïnes littéraires de l’époque, en particulier celles des sœurs Brontë. Malheureusement, ce texte m’a semblé beaucoup trop touffu, regorgeant de détails inutiles. La seconde partie, qui pose de vraies questions et décortique le procès, rattrape le profond ennui que m’a inspiré la première.